Congés payés et droit européen : les revirements jurisprudentiels du 10 septembre 2025

Congés payés et droit européen : les revirements jurisprudentiels du 10 septembre 2025

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Par deux arrêts rendus le 10 septembre 2025, la Cour de cassation opère un double revirement de jurisprudence en matière de congés payés, alignant définitivement le droit français sur les exigences européennes. Ces décisions concernent tant le calcul des heures supplémentaires que les droits des salariés malades pendant leurs congés.

1. L’harmonisation européenne du calcul des heures supplémentaires

1.1. L’abandon de la conception française restrictive face aux pressions européennes

Traditionnellement, le droit français subordonnait le déclenchement des heures supplémentaires à l’accomplissement effectif de plus de trente-cinq heures de travail par semaine (C. trav. art. L. 3121-28.).

La Cour de cassation avait constamment jugé que les jours de congés payés ne pouvaient être pris en compte pour la détermination des heures supplémentaires, à défaut de dispositions légales ou conventionnelles contraires (Cass. soc. 1er décembre 2004, n° 02-21.304.) ; (Cass. soc. 9 février 2011, n° 09-42.939.) ; (Cass. soc. 4 avril 2012, n° 10-10.701.).

Cette persistance jurisprudentielle avait fini par attirer l’attention des autorités européennes.

Dans une mise en demeure du 18 juin 2025, la Commission européenne avait formellement demandé à la France de se conformer aux règles de l’Union européenne relatives au temps de travail et décidé d’ouvrir une procédure d’infraction, estimant que la législation française ne garantissait pas que les travailleurs tombant malades ou prenant des congés pendant leur semaine de travail puissent bénéficier des majorations dues.

Parallèlement, le ministère du travail avait commencé à infléchir sa position, soulignant dans une fiche pratique mise à jour le 24 février 2025 que les employeurs pouvaient avoir intérêt à s’inspirer de la jurisprudence européenne pour éviter tout contentieux inutile.

1.2. L’incompatibilité révélée par la jurisprudence européenne

La Cour de justice de l’Union européenne a progressivement développé une conception extensive du droit au congé annuel payé, considéré comme un principe essentiel du droit social de l’Union (CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16.).

L’arrêt décisif du 13 janvier 2022 a explicitement condamné une disposition de convention collective excluant les périodes de congé annuel payé du calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires (CJUE, 13 janvier 2022, DS c/ Koch Personaldienstleistungen GmbH, C-514/20.).

Cette solution s’étend aux dispositions nationales produisant le même effet dissuasif sur la prise de congés.

La Cour européenne considère qu’une telle exclusion peut dissuader les salariés de prendre leurs congés, créant un désavantage financier incompatible avec la finalité protectrice du droit au repos.

1.3. La nouvelle solution jurisprudentielle : l’éviction partielle de l’article L. 3121-28

Dans son arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. soc. 10 septembre 2025, n° 23-14.455.), la Cour de cassation tire les conséquences de cette incompatibilité en écartant partiellement l’application de l’article L. 3121-28 du code du travail.

Confrontée à deux voies possibles pour assurer la conformité du droit français au droit européen, la Cour a tranché en faveur de la modification du calcul des heures supplémentaires.

Bien que l’avis du ministère public proposait une mise en conformité par l’interprétation des règles d’indemnisation des congés payés (C. trav. art. L. 3141-24.), la Cour a privilégié une solution plus directe.

Elle juge désormais qu’il convient d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

Concrètement, un salarié soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine, même lorsqu’il a été partiellement en situation de congé payé.

Cette solution s’impose directement aux juridictions nationales dans les litiges opposant un salarié à un employeur privé, en vertu de l’effet direct horizontal de la Charte des droits fondamentaux.

2. Le renforcement du droit au report des congés payés en cas de maladie

2.1. La confirmation d’une évolution déjà amorcée sous pression européenne

Le second arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. soc. 10 septembre 2025, n° 23-22.732.) parachève l’évolution jurisprudentielle concernant l’articulation entre congés payés et arrêts maladie.

Traditionnellement, la jurisprudence française faisait prévaloir la première cause de suspension du contrat de travail en cas de coïncidence.

Ainsi, lorsqu’un arrêt de travail pour cause de maladie était délivré avant le début d’une période de congé payé, le salarié conservait ses droits à congé et pouvait bénéficier de leur report.

Réciproquement, la chambre sociale jugeait qu’un salarié tombant malade au cours de ses congés payés ne pouvait exiger de prendre ultérieurement les jours dont il n’avait pu bénéficier, l’employeur s’étant acquitté de son obligation (Cass. soc. 4 décembre 1996, n° 93-44.907.).

Cette position était devenue intenable au regard de la jurisprudence européenne, notamment depuis l’arrêt ANGED du 21 juin 2012 (CJUE, 21 juin 2012, Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución, C-78/11.).

S’appuyant sur la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, la Cour reconnaît que les finalités du congé annuel payé et du congé de maladie diffèrent fondamentalement.

Le congé payé vise à permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, tandis que le congé de maladie lui permet de se rétablir d’une maladie (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06.).

2.2. Les conditions du report

La Cour précise que le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie (C. trav. art. L. 3141-3, interprété à la lumière de la directive 2003/88/CE.).

Cette interprétation conforme impose toutefois une condition essentielle : l’arrêt de travail pour cause de maladie doit avoir été notifié à l’employeur.

Cette exigence de notification constitue une garantie procédurale permettant à l’employeur de vérifier la réalité de l’incapacité de travail et d’organiser en conséquence le report des congés concernés.

3. Les implications pratiques de ce double revirement

3.1. Pour le calcul des heures supplémentaires

La solution retenue par la Cour de cassation impose désormais aux entreprises de prendre en compte fictivement les jours de congés payés dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires pour les salariés soumis à un décompte hebdomadaire.

Concrètement, lorsqu’un salarié prend un jour de congé payé dans une semaine où il travaille habituellement plus de trente-cinq heures, il conserve son droit aux majorations pour heures supplémentaires comme s’il avait effectivement travaillé ce jour-là.

Cette évolution technique majeure modifie l’approche traditionnelle française qui excluait strictement les congés payés du décompte des heures de travail effectif.

Les entreprises devront adapter leurs systèmes de paie pour intégrer cette nouvelle méthode de calcul, particulièrement dans les secteurs appliquant des forfaits horaires sur base hebdomadaire.

Il convient de noter que l’intégration des majorations pour heures supplémentaires dans l’indemnisation des congés payés demeure inchangée, cette pratique étant déjà solidement établie par la jurisprudence française depuis plusieurs décennies (C. trav. art. L. 3141-24 et L. 3141-25.).

3.2. Pour la gestion des congés et arrêts maladie

Les services des ressources humaines devront mettre en place des procédures permettant d’identifier et de traiter les situations d’arrêt maladie survenant pendant les congés payés.

Il sera nécessaire de distinguer les jours de congés effectivement pris de ceux qui devront être reportés en raison d’une incapacité de travail, sous réserve de la notification par le salarié de son arrêt maladie.

Cette gestion différenciée impliquera une adaptation des systèmes d’information et des procédures comptables pour assurer un suivi précis des droits à congés.

3.3. L’ancrage définitif dans le droit européen

Ces deux revirements illustrent l’influence croissante du droit européen sur le droit social français.

Ils démontrent que la Cour de cassation n’hésite plus à écarter l’application de dispositions nationales lorsque celles-ci s’avèrent incompatibles avec les standards européens de protection des salariés.

Cette évolution s’inscrit dans une démarche d’harmonisation visant à garantir un niveau de protection équivalent des droits sociaux fondamentaux dans l’ensemble de l’Union européenne, conformément à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux.

Les praticiens du droit du travail devront donc intégrer cette dimension européenne dans leurs conseils et leur pratique contentieuse, les juridictions françaises étant désormais tenues d’assurer la protection juridique découlant de ces droits fondamentaux.

Xavier Berjot
Avocat associé
xberjot@sancy-avocats.com

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