Vous avez une question en droit du travail ?
Vous recherchez une information ?
Vous souhaitez travailler avec nous ?
Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit peuvent prétendre à une indemnisation complémentaire. La preuve de la faute inexcusable leur incombe, sauf dans certains cas. La Cour de cassation (Cass. 2e civ. 8-7-2021 n° 19-25.550) vient d’en fournir une illustration.
1/ La preuve de la faute inexcusable
L’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en mettant en œuvre, notamment (C. trav. art. L. 4121-1) :
– Des actions de prévention des risques professionnels ;
– Des actions d’information et de formation ;
– La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Pour sa part, la jurisprudence considère que l’employeur est tenu, vis-à-vis des salariés, d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité (Cass. soc. 20-3-2013 n°12-14.468).
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il incombe à la victime (le salarié ou ses ayants droit) de prouver que l’employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel elle était exposée, n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. 2e civ. 8-7-2004 n° 02-30.984).
A titre d’exemple, rejette à bon droit la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur l’arrêt qui relève que l’accident causé par une pelleteuse est survenu « alors que le godet était en position “route” bien que la pelle ait été à l’arrêt, que le salarié n’a pas précisé quel dispositif de sécurité était manquant ou défectueux, et qu’il est établi que la pelle était régulièrement entretenue, faisant ainsi ressortir que l’employeur ne pouvait avoir conscience du danger (…). » (Cass. soc. 12-12-2002 n° 01-20.030).
Par exception, le bénéfice de la faute inexcusable est « de droit » pour le ou les travailleurs victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au CSE avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé. (C. trav. art. L. 4131-4).
La faute inexcusable « de droit » signifie que le salarié ou ses ayants droit n’ont pas à établir la preuve de la faute inexcusable, son bénéfice étant automatique.
2/ L’arrêt du 8 juillet 2021
Un salarié d’une entreprise de sécurité a été victime d’une agression sur son lieu de travail le 7 octobre 2011, prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
Quelques jours avant son agression, la secrétaire de l’entreprise avait trouvé, dans la boîte aux lettres, un courrier anonyme, destiné au salarié, mentionnant « dégage ou on te crève », que ce dernier avait transmis par email du même jour à son employeur.
Après son licenciement pour inaptitude, la victime a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (aujourd’hui : le pôle social du tribunal judiciaire) aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Sa demande a été rejetée par le tribunal des affaires de sécurité sociale et la Cour d’appel de Toulouse (CA Toulouse 22-11-2019 n° 16/02034).
La Cour a retenu, au soutien de sa décision, que les conditions posées par l’article L. 4131- 4 du Code du travail n’étaient pas réunies et qu’il incombait en conséquence au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable, en établissant que son accident présentait un lien avec une faute commise par son employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.
S’agissant du courrier anonyme, la Cour a considéré que sa transmission à l’employeur ne caractérisait pas davantage une alerte donnée à l’employeur, portant sur une exposition de sa personne à un risque d’agression physique.
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, aux motifs suivants :
– « En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la victime avait transmis à son employeur une lettre de menaces reçue dans un contexte de fortes tensions internes à l’entreprise, de sorte qu’elle avait signalé à celui-ci le risque d’agression auquel elle était exposée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. »
3/ Les enseignements
Il résulte de la décision de la Cour de cassation que le signalement d’un risque à l’employeur, par le salarié ou un représentant du personnel, quelle qu’en soit la forme, permet à la victime de bénéficier du régime de la faute inexcusable de droit.
La Cour de cassation (Cass. soc. 17-7-1998 n° 96-20.988) avait déjà statué en ce sens s’agissant d’un risque lié à une installation (escalier) :
– « Mais attendu qu’après avoir rappelé les dispositions de l’article L 231-8-1 du Code du travail, selon lesquelles le bénéfice de la faute inexcusable est de droit pour le salarié ayant signalé à l’employeur un risque qui s’est matérialisé, les juges du fond ont constaté que la chute de M. Bignon avait été provoquée par le caractère glissant des marches de l’escalier, dépourvu en outre de main courante, et que cette situation dangereuse pour les usagers avait été signalée par l’intéressé à l’association ATE, son employeur ; que, par ces seuls motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »
Cette jurisprudence invite l’employeur à la plus grande vigilance lorsque des signalements ou des alertes sont émis par des salariés, notamment en matière de risques psycho-sociaux.
A titre d’exemple, la dénonciation d’un harcèlement moral par un salarié, au moyen d’un email adressé à l’employeur ou à un représentant du personnel au CSE, peut suffire à constituer le signalement mentionné à l’article L. 4131-4 du Code du travail.
Rappelons que la faute inexcusable de l’employeur peut emporter des conséquences financières significatives.
En effet, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (CSS. art. L. 4132-1).
En particulier, la faute inexcusable ouvre droit à une majoration de la rente versée par la CPAM (ou à une majoration du capital) (CSS. art. L. 452-2, al. 1, 2, 3 et 5 et R. 452-2).
Par ailleurs, en complément de la majoration de rente, la victime a le droit de demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (CSS. art. L. 452-3, al. 1).
Xavier Berjot
Avocat associé
xberjot@sancy-avocats.com
Partager ?