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Tenu par une obligation de sécurité de résultat, l’employeur doit diligenter une enquête interne lorsqu’un salarié affirme avoir subi des faits de harcèlement moral. Ce n’est qu’à cette condition qu’il peut s’exonérer de sa responsabilité.
1/ La nécessité d’une enquête interne en présence d’allégations de harcèlement moral
L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en menant notamment des actions de prévention des risques professionnels (C. trav. art. L. 4121-1), avec une attention particulière portée aux risques liés au harcèlement moral, au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes (C. trav. art. L. 4121-2).
L’article L. 1152-4 du Code du travail le rappelle expressément : « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. »
En cas de harcèlement moral avéré, l’employeur engage sa responsabilité civile (voire pénale) sur le fondement de ces textes, s’il n’a pas pris les mesures adéquates visant à prévenir et à faire cesser de tels agissements.
A l’inverse, l’employeur qui a pris les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et, notamment, a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, ne manque pas à son obligation de sécurité (Cass. soc. 01-06-2016 n° 14-19702).
NB. Les mesures visées à l’article L 4121-1 du Code du travail comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
En pratique, lorsque le salarié allègue des faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, l’employeur doit nécessairement organiser une enquête interne, afin d’établir la matérialité et la preuve des faits ainsi dénoncés.
Cette démarche est d’autant plus importante que certains salariés peuvent éprouver un mal-être persistant au travail sans pour autant être victimes d’un harcèlement moral au sens strict.
En effet, le harcèlement moral s’entend d’agissements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (C. trav. art. L. 1152-1).
A titre d’exemple, ne caractérisent pas un harcèlement moral les reproches et avertissements justifiés par les insuffisances et le comportement du salarié, peu important l’éventuel état d’anxiété de l’intéressé (Cass. soc. 06-01-2011 n° 09-71.045).
De même, la notification de plusieurs avertissements à un salarié dont l’employeur établit qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs ne peut être assimilée à un harcèlement moral (Cass. soc. 14-9-2010 n° 09-41.275).
Quels que soient les faits invoqués, la Cour de cassation (Cass. 27-11-2019, n°18-10.551) considère que l’absence d’enquête interne, après la révélation d’un harcèlement, constitue une violation par l’employeur de son obligation de prévention des risques professionnels qui cause un préjudice à l’intéressé, même en l’absence de harcèlement.
Il est ainsi acquis que toute allégation de harcèlement moral doit donner lieu à la mise en place d’une enquête interne.
2/ Les modalités de l’enquête interne portant sur le harcèlement moral
Le Code du travail ne prévoit aucune règle particulière s’agissant des modalités de l’enquête interne que l’employeur doit diligenter dans une telle situation.
L’article L. 1154-1 du Code du travail prévoit simplement que lorsque survient un litige relatif notamment au harcèlement moral, « le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. »
Le texte ajoute qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme ensuite sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’absence de règles légales précisant les modalités de l’enquête interne, il revient à la jurisprudence de dessiner les contours de l’obligation de l’employeur.
A titre préalable, soulignons qu’une enquête interne concluant à l’inexistence d’un harcèlement moral ne lie pas le juge (Cass. crim. 08-06-2010, n°10-80.570).
Il en va de même, à l’inverse, lorsque les conclusions de l’enquête révèlent une situation de harcèlement moral.
Dans un arrêt récent (Cass. soc. 08-01-2020 n°18-20.151), la Cour de cassation a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 29 juin 2018 ayant jugé que « pour répondre à l’exigence d’exhaustivité et d’impartialité, l’enquête interne diligentée par l’employeur devait consister à entendre la totalité des collaborateurs du salarié. »
Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel ne pouvait exclure la preuve du harcèlement moral au motif que seule la moitié des collaborateurs avait été entendue.
En pratique, il est recommandé à l’employeur d’inviter le salarié affirmant avoir subi un harcèlement moral à un entretien, en lui offrant la possibilité d’être assisté par un salarié, représentant du personnel ou non.
Si le représentant légal de l’entreprise ne conduit pas l’enquête en personne, il doit veiller à ce que le collaborateur qui en a en responsabilité ne soit pas impliqué dans la situation dénoncée par le salarié.
En effet, comme le juge la Cour de cassation (Cass. soc. 21-06-2011 n°10-11690) au sujet de l’entretien préalable au licenciement, la participation d’un délégué du personnel aux côtés de l’employeur, alors qu’il existait un différend important entre ce délégué et le salarié, caractérise un détournement de l’objet de l’entretien ouvrant droit à la réparation du préjudice subi.
Outre l’invitation du salarié « présumé victime » à un entretien, l’employeur doit recevoir le salarié « présumé coupable », en lui offrant la même possibilité d’assistance.
Il est recommandé que les entretiens donnent systématiquement lieu à l’établissement d’un compte-rendu écrit signé par toutes les personnes présentes.
En revanche, il est déconseillé d’organiser une confrontation entre les salariés dans la mesure où celle-ci peut être génératrice d’une situation de stress incompatible avec la prévention des risques psycho-sociaux.
Par ailleurs, l’employeur a tout intérêt à interroger, de manière formelle, les collaborateurs qui constituent l’environnement professionnel (proche ou moins proche) du salarié se plaignant d’un harcèlement moral.
La question se pose, enfin, de savoir si le CSE doit être associé à l’enquête portant sur le harcèlement moral. La réponse est en principe négative, dans la mesure où les attributions du CSE s’exercent au profit de la collectivité des salariés et non en faveur d’un salarié pris individuellement.
Cependant, le CSE bénéficie d’un droit d’alerte spécifique en matière de harcèlement moral.
En effet, si un membre élu du CSE constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur (C. trav. art. L. 2312-59).
Le texte précise que cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.
Lorsque le droit d’alerte est ainsi déclenché, l’employeur doit procéder sans délai à une enquête avec le membre du CSE et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à la situation.
En conclusion, rappelons que le Code du travail prévoit qu’une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause (C. trav. art. L. 1152-6).
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