Licenciement fondé sur la vie personnelle : nul ou sans cause réelle et sérieuse ?

Licenciement fondé sur la vie personnelle : nul ou sans cause réelle et sérieuse ?

Licenciement fondé sur la vie personnelle : nul ou sans cause réelle et sérieuse ? 2560 2048 sancy-avocats.com

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Dans deux arrêts du 25 septembre 2024 (n° 22-20.672 et n° 23-11.860), la Cour de cassation se prononce sur la sanction du licenciement lorsque celui-ci est motivé, en partie, par des faits relevant de la vie privée du salarié. Un critère de distinction est appliqué par la Cour de cassation.

1/ Le critère de distinction

Dans la première affaire (n° 22-20.672), la RATP avait procédé au licenciement d’un machiniste-receveur pour détention et consommation de produits stupéfiants en dehors de son temps de travail.

En effet, à l’issue d’une verbalisation de ce dernier sur la voie publique, la police judiciaire avait estimé nécessaire d’avertir la RATP en raison des risques générés pour la sécurité des voyageurs.

Selon une jurisprudence classique, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 3-5-2011, n° 09-67464).

Or, la Cour d’appel (Paris, 23 juin 2022) avait annulé le licenciement « en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l’intéressé à sa vie privée. »

La décision est cassée par la Cour de cassation puisque les faits, tirés de la vie personnelle du salarié, ne relevaient toutefois « pas de l’intimité de sa vie privée, de sorte que, si le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n’était pas atteint de nullité en l’absence de violation d’une liberté fondamentale. »

Dans la seconde affaire, (n° 23-11.860), un salarié avait envoyé, à des interlocuteurs externes, des emails contenant des propos vulgaires et dégradants envers les femmes.

Ces propos contrevenaient à la charte de l’entreprise destinée à prévenir le harcèlement sexuel, proscrivant les commentaires, blagues, images ou remarques de nature sexuelle.

L’employeur avait procédé à son licenciement pour faute grave pour divers motifs, dont l’envoi des emails litigieux.

La Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 8-12-2022, n° 22/00880) avait annulé le licenciement, sur le fondement de l’article L. 1121-1 du Code du travail et de l ‘article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Selon ces textes, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Pour la Cour, le licenciement reposant, même partiellement, sur un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression par le salarié, est nul.

Le pourvoi en cassation de l’employeur est rejeté par la Cour de cassation, retenant les motifs suivants :

– « Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu sexuel de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement. »

Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation invite donc le juge du fond à vérifier si le licenciement est motivé, au moins en partie, par des faits relevant de l’intimité de la vie privée.

Dans l’affirmative, le licenciement est nul.

En effet, le salarié a droit, même au temps et lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée (Cass. soc. 2-10-2001, n° 99-42.942).

Il s’agit d’une liberté fondamentale (Cass. soc. 12-10-2004, n° 02-40.392) applicable tout particulièrement au secret des correspondances.

2/ Les conséquences de la nullité

2.1. La réintégration du salarié

Lorsque son licenciement est nul, le salarié est fondé à réclamer sa réintégration dans son emploi (Cass. soc. 21-6-2017, n°15-21.897).

Il s’agit toutefois d’une option et le salarié n’est tenu ni d’accepter la réintégration proposée par l’employeur, ni de la solliciter (Cass. soc. 16-2-1987, n°84-42.569).

En cas de nullité du licenciement, l’employeur est tenu de faire droit à la demande de réintégration du salarié (Cass. soc. 14-2-2018, n°16-22.360), dès lors qu’aucune impossibilité d’y procéder n’est établie (Cass. soc. 25-2-1998, n°95-44.019).

La réintégration implique de restaurer le salarié dans son poste ou, à défaut, dans un emploi équivalent (Cass. soc. 26-5-2004, n° 02-41.325).

L’obligation de réintégration ne s’étend pas toutefois au groupe auquel appartient l’employeur (Cass. soc. 9-7-2008, n°07-41.845).

Le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre la rupture et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé (Cass. soc. 3-7-2003, n°01-44.522).

Il s’agit d’une indemnité dite « d’éviction », selon le vocable jurisprudentiel.

Celle-ci, soumise à cotisations sociales, doit tenir compte des revenus de remplacement (allocations France Travail, IJSS, etc.) perçus par le salarié entre son licenciement et sa réintégration (Cass. soc. 16-10-2019, n°17-31.624).

Par exception, le salarié a droit à une réparation forfaitaire, correspondant aux salaires afférents à la période comprise entre son licenciement et sa réintégration, sans déduction des revenus qu’il a pu percevoir pendant cette période, lorsque la nullité du licenciement résulte de l’atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement protégée.

Tel est le cas, par exemple, du licenciement motivé par les activités syndicales du salarié (Cass. soc. 2-6-2010, n° 08-43.277) ou par son action en justice (Cass. soc. 21-11-2018 n° 17-11.122).

La nullité du licenciement motivé par des faits liés à l’intimité de la vie privée doit suivre le même régime, puisque la Cour de cassation vise l’atteinte à une « liberté fondamentale ».

2.2. Les sanctions en l’absence de réintégration

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois (C. trav. art. L. 1235-3-1).

Pour la Cour de cassation, le salarié a droit, d’une part, aux indemnités de rupture et, d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, au moins égale à 6 mois de salaire quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise (Cass. soc. 30-11-2010, n° 09-66.210).

Les indemnités de rupture sont, classiquement, l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle (C. trav. art. L. 1235-3-1) et l’indemnité compensatrice de préavis, due au salarié même s’il est dans l’impossibilité physique d’exécuter son préavis (Cass. soc. 5-6-2001, n° 99-41.186).

Quant à l’indemnité pour rupture illicite, celle-ci n’est pas plafonnée et son montant est souverainement apprécié par le juge du fond (Cass. soc. 18-12-2000, n° 98-41.608).

Ainsi, le barème « Macron » prévoyant une indemnité encadrée par des planchers et des plafonds, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement (C. trav. art. L. 1235-3-1).

Xavier Berjot
Avocat associé
xberjot@sancy-avocats.com

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