Salariés : la ventilation de l’indemnité transactionnelle

Salariés : la ventilation de l’indemnité transactionnelle

Salariés : la ventilation de l’indemnité transactionnelle 1920 2560 sancy-avocats.com

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Déterminer le régime social et fiscal de l’indemnité transactionnelle versée au salarié est infiniment plus complexe qu’il n’y paraît. Force est de constater que les praticiens ne s’accordent absolument pas sur le sujet. Pourtant, la solution existe.

1/ Les enjeux et les problématiques 

En droit du travail, la question du régime de l’indemnité transactionnelle est souvent appréhendée sous l’angle des indemnités de rupture du contrat de travail (cf. § 2 ci-dessous).

Ainsi, lorsqu’un salarié perçoit une indemnité transactionnelle après un licenciement, le régime social et fiscal habituellement appliqué à celle-ci correspond à celui des indemnités de rupture.

Or, dans de nombreuses situations, des difficultés professionnelles ont précédé le licenciement : souffrance au travail, harcèlement moral, repos compensateur non pris, heures supplémentaires ou bonus impayés, mise au placard, etc.

Ces difficultés ont pu impacter la santé et l’équilibre du salarié, de manière plus ou moins marquée : insomnie, anxiété, dépression, divorce, auto-dévalorisation, arrêts de travail, hospitalisation, etc.

En présence de tels événements, la pratique consiste souvent, s’agissant de l’indemnité transactionnelle, à retenir globalement le régime des indemnités de rupture.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs.

D’une part, les praticiens craignent légitimement un redressement Urssaf.

Face ce risque, les avocats et les experts-comptables sont soucieux de proposer à leurs clients des solutions sans risque tout comme les DRH ne souhaitent pas s’exposer vis-à-vis de leur direction générale.

D’autre part, les Urssaf ont pour mission, notamment, de collecter les cotisations salariales et patronales destinées à financer le régime général de la Sécurité sociale.

Ces organismes ont donc tendance à retenir des interprétations qui ne sont pas guidées par des considérations d’optimisation sociale.

La Direction générale des Finances publiques adopte la même démarche fondamentale en ce qui concerne le recouvrement de l’impôt sur le revenu.

Ces excès de précaution ou de zèle conduisent ainsi à privilégier le régime social et fiscal des indemnités de rupture, dès lors qu’il est question d’une indemnité transactionnelle.

L’application de ce régime est également liée à une certaine habitude, dans la mesure où il est clairement décrit par la loi et, donc, bien connu des acteurs des ressources humaines.

Ce faisant, le régime des indemnités de rupture est dévoyé.

En réalité, l’indemnité transactionnelle est susceptible de revêtir trois natures :

– régime des indemnités de rupture ;

– exonération totale ;

– régime des salaires.

2/ Le régime des indemnités de rupture 

2.1. Principales caractéristiques 

De manière générale, les indemnités de rupture sont exclues de l’assiette des cotisations sociales, dans la limite d’un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond de la sécurité sociale (PASS), soit 82.272 € pour 2021.

La partie excédentaire est soumise à cotisations patronales et salariales, comme les salaires.

Par ailleurs, la partie qui excède le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est toujours soumise à CSG / CRDS, soit 9,7 % au total, à la charge du salarié.

Enfin, lorsque les indemnités dépassent 10 fois le PASS (soit 411.360 € en 2021), elles sont soumises à cotisations sociales dès le premier euro.

NB. Des spécificités existent, comme pour la rupture conventionnelle, le licenciement économique, l’indemnité forfaitaire de conciliation, etc.

Sur le plan fiscal, les indemnités de rupture sont exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite suivante (la plus haute est retenue) :

– Soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail, dans la limite de six fois le PASS (246.816 € en 2021) ;

– Soit 50 % du montant de l’indemnité si ce seuil est supérieur, toujours dans la limite de six fois le PASS ;

– Soit le montant de l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche, par l’accord professionnel ou interprofessionnel ou, à défaut, par la loi, et ce sans limite. 

2.2. Champ d’application 

Le régime social et fiscal des indemnités de rupture est défini par les articles L. 242-1, II-7° du Code de la sécurité sociale (CSS) et 80 duodecies du Code général des impôts (CGI).

Sont ici visées les « indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail » : indemnité de licenciement, de rupture conventionnelle, de mise à la retraite, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité forfaitaire de conciliation, etc.

Curieusement, l’indemnité transactionnelle n’est pas visée par ces textes.

La jurisprudence et les administrations sociale et fiscale considèrent que cette indemnité, ayant pour objet de mettre fin à tout litige relatif à la rupture du contrat de travail, relève du régime des indemnités de rupture.

Cependant, il n’est pas possible d’affirmer que l’indemnité transactionnelle relève systématiquement de ce régime, et ce même lorsqu’elle est versée après la rupture du contrat de travail.

En effet, les articles L. 242-1 du CSS et 80 duodecies du CGI règlent simplement le sort de l’indemnité transactionnelle versée « à l’occasion de », c’est-à-dire, « en lien avec » la rupture du contrat de travail.

Or, l’indemnité transactionnelle peut réparer des préjudices de diverses natures.

C’est en ce sens que la Cour de cassation s’est prononcée dans ses arrêts de principe du 15 mars 2018 (Cass. 2e civ. 15-3-2018, n° 17-11.336 ; Cass. 2e civ. 15-3-2018 n° 17-10.325) :

« il résulte des dispositions du premier alinéa de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au dixième alinéa, dans sa rédaction applicable à la date d’exigibilité des cotisations litigieuses, sont comprises dans l’assiette de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, à moins que l’employeur rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice. »

Cette solution a été réaffirmée postérieurement (Cass. 2e civ. 22-10-2020 n° 19-21.932).

Autrement dit, la preuve d’un préjudice distinct de la rupture du contrat de travail permet de s’écarter du régime des indemnités de rupture. 

3/ L’exonération totale 

L’indemnité transactionnelle peut avoir pour objet de réparer le préjudice né de la perte d’emploi mais peut également compenser le préjudice lié à une souffrance physique ou psychique : harcèlement moral ou sexuel, souffrance au travail, dépression, etc.

Il s’agit du « pretium doloris », littéralement le « prix de la douleur », qui désigne le dommage lié aux souffrances physiques et morales du salarié (en l’occurrence).

Or, ce pretium doloris, qui correspond à des dommages-intérêts, n’est pas soumis à cotisations sociales.

Telle est la position de la jurisprudence (§ 2.2 ci-dessus) mais aussi de l’Urssaf, telle qu’exprimée dans le bulletin officiel de la Sécurité sociale (Boss) :

« Toutefois, en dehors des indemnités pouvant être exclues de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans les conditions prévues par la loi, une somme représentative de dommages-intérêts indemnisant un préjudice (moral ou personnel) autre que la perte de salaire peut dans certains cas être exclue de l’assiette des cotisations, lorsque l’employeur apporte la preuve qu’elle concourt, pour tout ou partie de son montant, à l’indemnisation d’un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail du salarié. Il en va ainsi lorsqu’une décision de justice constate la réalité de ce préjudice et considère que les sommes versées constituent des dommages-intérêts. » 

Le Boss vise l’indemnisation d’un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail mais la solution est similaire pour le préjudice subi pendant l’exécution du contrat de travail.

En effet, dans les deux cas, l’exercice consiste à prendre en considération l’élément réparé par l’indemnité transactionnelle.

A titre d’exemple, doit être assujettie à cotisations l’indemnité transactionnelle tendant à indemniser le préjudice né de l’impossibilité, pour des salariés, de prendre leur pause accordée en compensation du temps d’habillage et de déshabillage (Cass. 2e civ. 19-1-2017 n° 16-11.472).

Cette solution est logique puisque l’élément réparé a, en l’espèce, la nature d’un salaire.

A l’inverse, si l’indemnité transactionnelle a pour objet de compenser un dommage dénué de tout caractère salarial, elle n’a pas à être assujettie aux cotisations et contributions sociales, à la CSG, à la CRDS et aux taxes et participations assises sur les salaires dont l’assiette est harmonisée avec celle des cotisations de sécurité sociale.

Pour bénéficier de l’exonération totale, l’indemnité doit néanmoins compenser un préjudice « autre que la perte de salaire. »

En effet, c’est le régime des indemnités de rupture qui est applicable à l’indemnité réparant le préjudice lié à la perte de salaire.

Sur le plan fiscal, l’exonération totale s’applique également au pretium doloris.

En effet, les dommages-intérêts versés au salarié en compensation d’un préjudice n’ayant aucun lien avec un élément de salaire ne sont pas visés par les articles 79 à 81 quater du Code général des impôts (CGI).

Pour rappel, ces articles définissent le revenu imposable et sont compris dans un § V du CGI intitulé « V : Traitements, salaires, pensions et rentes viagères (Articles 79 à 90) ».

Par exception, il résulte de l’article 80 du CGI que sont imposées comme des traitements et salaires les indemnités, au-delà d’un million d’euros, « perçues au titre du préjudice moral fixées par décision de justice. »

4/ Le régime des salaires 

Lorsque la transaction prévoit le versement d’éléments à caractère de salaire, comme des accessoires et rappels de salaire, ces composantes salariales de l’indemnité transactionnelle doivent être soumises aux cotisations (Cass. soc. 11-7-1991 n° 89-11.440 ; Cass. 2e civ. 28-11-2019 n° 18-22.807).

Le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) retient également cette solution, indiquant par exemple qu’en « cas de versement d’une indemnité transactionnelle assortie d’une clause de non-concurrence, la contrepartie financière de cette dernière demeure toujours imposable et il y a lieu, le cas échéant, de l’évaluer si son montant n’est pas prédéterminé. » 

Ainsi, la transaction portant sur des heures supplémentaires, des commissions, une indemnité de congés payés, etc., doit nécessairement prévoir d’assujettir l’indemnité à cotisations sociales (ce qui implique l’impôt sur le revenu). 

5/ La ventilation de l’indemnité transactionnelle

En pratique, lors de la négociation d’une indemnité transactionnelle, il est recommandé de procéder à une approche en trois phases :

– identifier et isoler les différents chefs de préjudice du salarié ;

– négocier puis chiffrer ces derniers ;

– appliquer à chaque chef de préjudice le régime qui lui est propre.

Prenons le cas d’un salarié licencié pour faute simple après 5 ans d’ancienneté, qui soutient avoir subi un harcèlement moral pendant de longs mois, ayant entraîné une dépression réactionnelle sévère.

En l’espèce, le préjudice de ce salarié est double : perte d’emploi, d’une part, et souffrance psychique, d’autre part.

Imaginons que les parties négocient une indemnité de 90.000 € bruts, correspondant à 10 mois de salaire.

La logique commande, en l’occurrence, de déterminer le montant payé au titre de la perte d’emploi et celui alloué au titre de la souffrance.

Par exemple, le salarié pourrait percevoir :

– une indemnité de 70.000 € bruts, assujettie à CSG/CRDS, en application du régime des indemnités de rupture ;

– des dommages-intérêts à hauteur de 20.000 €, totalement exonérés.

L’indemnité ne serait donc pas assujettie à cotisations, même si elle représente globalement plus de deux PASS (rappel : l’indemnité de licenciement entre également en compte dans l’assiette).

Inversement, lorsqu’une transaction mentionne que le salarié renonce à tous rappels de salaire, de quelque nature que ce soit, il n’est pas logique qu’une partie de l’indemnité transactionnelle ne soit pas soumise à cotisations.

En conclusion, le préambule de la transaction doit être très soigneusement ciselé car il permet d’expliciter, à l’attention des administrations sociale et fiscale et du juge, les préjudices du salarié et le régime applicable aux indemnités qui les réparent.

Xavier Berjot
Avocat associé
xberjot@sancy-avocats.com

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