Vous avez une question en droit du travail ?
Vous recherchez une information ?
Vous souhaitez travailler avec nous ?
La Commission européenne vient d’adresser une lettre de mise en demeure à la France, lui reprochant de ne pas garantir aux travailleurs malades pendant leurs congés annuels la possibilité de récupérer ultérieurement les jours perdus. Cette procédure d’infraction s’inscrit dans la continuité de la loi du 22 avril 2024 qui avait déjà harmonisé partiellement le droit français avec les exigences européennes en matière de report des congés payés.
1. L’état du droit français : une lacune persistante
1.1. L’absence de règles spécifiques pour la maladie survenant pendant les congés
Le Code du travail français ne prévoit aucune disposition particulière concernant le sort des congés payés lorsqu’un arrêt de travail pour maladie débute durant une période de congés déjà commencée.
Cette absence de règlementation contraint à se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a établi une position défavorable au salarié.
Selon cette jurisprudence, lorsqu’un arrêt de travail intervient pendant une période de prise de congés, le salarié demeure sous le régime des congés payés, ceux-ci constituant la cause initiale de la suspension du contrat de travail.
1.2. Les conséquences pratiques de cette jurisprudence
Dans cette situation, le salarié perçoit simultanément l’indemnité de congés payés et les indemnités journalières de sécurité sociale, sans que ces dernières viennent en déduction de la première.
L’employeur n’est pas tenu d’assurer un maintien de salaire complémentaire (Cass. soc. 2-3-1989 n° 86-42.426).
Cependant, sauf dispositions conventionnelles ou usage d’entreprise plus favorables, le salarié ne peut exiger de prendre ultérieurement les jours de congés qui se sont confondus avec son arrêt maladie (Cass. soc. 4-12-1996 n° 93-44.907).
2. L’inadéquation avec le droit européen
2.1. Les exigences de la directive 2003/88/CE
La directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail établit des prescriptions minimales en matière de congé annuel.
L’article 7 de cette directive garantit à tout travailleur un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, dans des conditions qui permettent effectivement au salarié de se reposer.
La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que ce droit au congé annuel constitue un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière (CJUE 20-1-2009 aff. 350/06 et 520/06).
2.2. La jurisprudence européenne sur la maladie pendant les congés
La CJUE a expressément jugé que l’article 7 de la directive s’oppose aux dispositions nationales qui privent un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, du droit de bénéficier ultérieurement de ce congé (CJUE 21-6-2012 aff. 78/11).
Cette position se fonde sur la finalité du droit au congé annuel payé, qui vise à permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs.
La maladie empêchant cette finalité d’être atteinte, le report des jours correspondants s’impose.
3. La procédure d’infraction engagée par la Commission
3.1. Les griefs formulés contre la France
Dans sa lettre de mise en demeure du 18 juin 2025, la Commission européenne considère que la législation française méconnaît les règles de l’Union sur le temps de travail (directive 2003/88/CE).
Elle estime que le droit français ne garantit pas aux travailleurs qui tombent malades pendant leur congé annuel la possibilité de récupérer ultérieurement les jours de congé qui ont coïncidé avec leur maladie.
Cette situation est jugée contraire aux exigences de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
3.2. Les étapes de la procédure
La France dispose d’un délai de deux mois pour répondre à cette mise en demeure et présenter les mesures correctives envisagées.
En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission pourrait émettre un avis motivé, étape préalable à une éventuelle saisine de la Cour de justice de l’Union européenne.
Une condamnation par la CJUE contraindrait définitivement la France à modifier sa législation.
Les évolutions récentes et perspectives
4.1. Les avancées de la loi du 22 avril 2024
La loi 2024-364 du 22 avril 2024 a marqué une étape importante en organisant le report des congés payés lorsque le salarié n’a pu les prendre en raison d’un arrêt de travail survenu avant la période de congés (C. trav. art. L 3141-19-1).
Cette réforme prévoit une période de report de quinze mois et impose à l’employeur d’informer le salarié de ses droits dans le mois suivant la reprise du travail (C. trav. art. L 3141-19-3).
Toutefois, cette loi n’a pas traité le cas spécifique de la maladie survenant pendant les congés déjà commencés.
4.2. Les signes d’évolution jurisprudentielle
La cour d’appel de Versailles a déjà amorcé un rapprochement avec la jurisprudence européenne en reconnaissant le droit au report des congés payés en cas de maladie survenue durant les congés (CA Versailles 18-5-2022 n° 19/03230).
Cette décision, bien qu’isolée, témoigne d’une prise de conscience de l’inadéquation entre le droit français et les exigences européennes.
L’administration française elle-même recommande désormais aux entreprises d’appliquer le droit au report pour éviter tout contentieux.
4.3. L’évolution législative nécessaire
La mise en demeure européenne devrait accélérer l’adaptation du droit français.
L’extension du dispositif de la loi du 22 avril 2024 au cas de la maladie pendant les congés apparaît comme la solution la plus cohérente.
Cette évolution permettrait de garantir l’effectivité du droit au repos tout en sécurisant juridiquement les entreprises face aux exigences du droit européen.
La France dispose donc de deux mois pour proposer des mesures correctives qui pourraient prendre la forme d’une modification législative ou d’un revirement de jurisprudence aligné sur les standards européens.
Xavier Berjot
Avocat associé
xberjot@sancy-avocats.com
Partager ?